16 décembre 2015

Duo Benjamin Duboc / Bernard Santacruz au Milord : de l'abordage des galions

De l'abordage des Galions ...Benjamin Duboc & Bernard Santacruz, contrebasses, en concert au Milord à Paris vus et entendus par Claude Parle, accordéoniste improvisateur.


Etrange lieu que cette cave au sous-sol du Milord ... À peine assez grande pour y loger un fauteuil et deux chaises, pourvu qu'on n'étende pas trop les pieds ...
Et pourtant, à la lueur pourpre d'un projecteur LED gisant dans un coin de mur, dans la moiteur d'une soirée de fin d'été dans la brume de mes pensées aux malts et aux houblons dédiées ...
Je voyais se préciser la silhouette haute des haubans de deux galions, sillant l'un vers l'autre dans l'évidence d'un abordage à haut risque ...
Avec le temps, l'accommodation se fait peu à peu et les silhouettes des monstres aux commandes se dévoilent ...
Les manoeuvres d'approche sont précises et l'abord va se faire incisif ! ...

Pas d'attente dès que la distance est réglée, les happes, grappins et filins installent les passerelles, l'archet de l'un enlie les crépitement des doigts de l'autre dont les percussions meuvent les glissandi du premier ... 
Les vitesses s'accordent, les hauteurs se combinent 
Quelquefois, un tir à bout portant, quelquefois des échanges de mousquets, et partout, le cliquetis des armes ...
Sans changer d'allure, au vent portant, les basses se rapprochent et se collent parfois ...
Lorsqu'un archet glisse, l'autre mord, s'il s'en va boiser, l'autre frappe ...
Deux doigts sur une corde : survol palmaire des harmoniques en face ... L'un martèle, l'autre vibre, les soies effleurent comme une armée de rames plume la vague au plus dur de l'effort ...
Du cordier aux chevilles, aucune part de l'instrument ne sera épargnée même les mains qui se mettent à gémir dans un placage d'amoureux désespoir mais ...
D'un chapelet de graves l'autre essuie d'une rafale de flageolets ...
D'une attaque sautée l'autre enchaîne des glissandi déchirants ...
Soudain une poigne dépassant du manche agrippée au chevillier s'acharne sur une clef ... La note descend, descend disparait dans sa détente ... la vibration n'est plus que battement ... Passé l'univers des sons nulle limite ! ...
Deux assauts, deux matches ... L'issue de l'affrontement reste indécise ... 
Remonté au bar, j'essaie de me remettre ... reste l'espoir d'un ultime combat, celui où vainqueur et vaincu s'immortalisent dans la fureur de jouer ...

Les passagers ne s'y trompent pas, on voit à la gravité ou au sourire de leurs visages, se modeler les transes et les relais que ces bateaux ivres greffent, font vivre et transforment.
La musique, quand elle vit, nous réamorce à la vie, nous propulse à l'aune d'un ressac salutaire et ressuscite en nous l'être fondamental d'avant le langage, d'avant toutes les corruptions ! ...


Nous y sommes maintenant, le troisième assaut sera décisif ...
C'est immédiat, c'est aussi prompt que l'étincelle jaillie de la pierre, c'est sec et vivant comme la flamme s'élançant à l'étreinte des brindilles ...
L'archet de Benjamin crépite entre deux cordes accueilli par des strates d'effleurements harmoniques, le temps s'immobilise ...
De son cordier, une grave et puissante mélopée fait geindre toute l'immense carcasse ... En face, les doigts n'appartiennent plus qu'à eux-mêmes, lâchés, libérés, fous, ils treppent, survolent, griffent ...
Les deux basses s'entrechoquent et dérivent ... La houle des hauts fonds les abrase l'une à l'autre ...
Maintenant, les mots ne sont plus les mots, ni les sons les sons ! Il passe d'entre ces instruments le fracas terrible et sans nom des collisions galactiques aux nimbes des univers parallèles ...
De l'intérieur, des mondes sont fracassés, du dehors, ne reste plus que le silence insoutenable du vide des espaces infinis ...
Des jets, des bribes de mondes engloutis giclent encore. Les spectres déhiscents d'anciennes mélopées du temps où chantaient encore les hommes, à se prouver leur vaillance face aux forces démentes de l'obscur, sourdent encore, parfois de ce qui reste des contrebasses ...
Un songe ? Un délire ? Sommes nous vraiment descendu dans cette cave ? En avons nous rêvé ?
De l'impossible à ouïr suinte cet impossible à dire, à re-conter ...




Bernard Santacruz (https://myspace.com/bernardsantacruz)
Benjamin Duboc (http://benjamin.duboc.free.fr/)

Un grand merci à Charlie Hewison & Line qui programment au sous-sol du Milord ( 78, bs de Belleville)
Et à Julien Palomo dont la pugnacité permet encore ce genre d'aventure ...

Duboc/Santacruz samedi 12 sept au sous-sol du Milord, Paris

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